Le Liban mérite mieux
Programme de Caux pour la paix et le leadership (CPLP)
01/10/2020
Le 4 août 2020, l’explosion qui s’est malheureusement produite à Beyrouth, la capitale libanaise, a choqué le monde entier. L’explosion a ravagé la ville, faisant de nombreuses victimes et des dégâts matériels importants. Du monde entier, le peuple libanais a reçu des messages d'amour.
Un grand nombre d’ancien-ne-s du Programme de Caux pour la paix et le leadership (CPLP) vit au Liban. Sarah Taleb est l'une de ces participantes au CPLP et elle se trouvait à Beyrouth au moment de l'explosion. Directrice de production, chef de projet et rédactrice de demandes de subvention, Sarah Taleb est spécialisée dans la gestion culturelle au sens large. Nous avons longuement discuté avec elle de la vie à Beyrouth juste après l'explosion.
Les passages ci-dessous sont extraits de la discussion en ligne entre Sarah Taleb (ST) et un intervieweur représentatif (IR) du CPLP.
IR : Aussi difficile que cela puisse être, accepteriez-vous de nous raconter comment s’est passé le jour après l'explosion ?
ST : Je me souviens que, cette nuit-là, mon ami et moi sommes allés dormir ailleurs, car notre maison avait été endommagée par l’explosion et nous ne voulions pas y rester. Je suis restée sous le choc pendant des jours ; nous étions tous sous le choc, d’ailleurs. Il fallait que je sois là pour mon ami, même si j'étais encore dans le déni. Je n’arrêtais pas de dire : « Ça n’est pas possible ». J'avais l'impression que c'était le début de la fin. Je me sentais triste et je me suis accrochée à cette tristesse, refusant de me laisser consoler. Le problème avec cette explosion – et c’est ce qui la rend différente de toutes les autres explosions –, ce n'est pas seulement son ampleur, mais ce qu'elle a emporté avec elle. Toute une ville a été ravagée ; c’est comme si notre mémoire collective avait soudain été effacée. Les maisons des gens se sont retrouvées à l'état brut. Mais il n’y a pas que les vitres qui ont été brisée ; il y a aussi des vies. Tout le monde connaît quelqu'un qui est mort ou a été blessé. Quelques jours seulement après l'explosion, nous avons commencé à nettoyer les maisons des décombres, de la saleté et du verre brisé qui les avaient envahies. Aujourd'hui encore, chaque fois qu'une porte claque ou que nous entendons un bruit fort, nous sursautons tous de peur et, à chaque fois, on repense au 4 août, lorsque les horloges de Beyrouth sont littéralement mortes, vers 18 heures.
IR : Quelle a été votre première réaction et celle des habitant-e-s de Beyrouth ?
ST : Tout le monde était en colère. Moi aussi, j'étais en colère. Les manifestations se sont nourries de cette colère et de cette frustration face à la corruption de notre gouvernement qui laisse une telle quantité de nitrate d'ammonium sans surveillance et nous faire perdre des vies, nos maisons, notre ville. Lors des manifestations, l'armée a passé son temps à nous envoyer des gaz lacrymogènes. Chaque jour, des centaines de personnes ont été blessées parce qu’elles manifestaient. Pendant trois jours, moi aussi, j'ai été en colère contre le Liban. Lorsque je conduisais, j'insultais les soldats que je croisais ; j’insultais le gardien du parking parce qu'il ne me laissait pas me garer à ma place habituelle ; j’ai même insulté deux hommes parce qu’ils m’avaient regardé de travers. J'en suis arrivée au point où j’ai pris conscience que je devais m'éloigner de ces sentiments de colère. Je devais faire quelque chose pour la maîtriser. Mes amis et ma famille ont eu un peu peur que je finisse en prison ! Je me souviens que, pendant des jours, je suis restée scotchée à ma PlayStation. Je jouais à un jeu vidéo, dans lequel il fallait tirer sur des soldats. Je suppose que cela m'a aidée aussi.
IR : J'ai vu sur votre profil Facebook que vous aviez récemment repeint des maisons. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?
ST : J'ai senti que j'avais besoin d'agir sur le terrain. Nous devions le faire pour pouvoir aller de l'avant. Ce n’était pas une question d'inspiration, mais bien de BESOIN. Nous avons tous vu qu’il y avait là un énorme besoin et nous avons senti que nous devions y répondre d'une manière ou d'une autre. Tous les Libanais, toutes les Libanaises, se sont retroussé les manches pour contribuer à la reconstruction de leurs quartiers, aider leurs voisins blessés ou, tout simplement, faire des dons. Quant à moi, j’ai repeint des maisons. Cela m'a donné l’opportunité de m'asseoir avec des familles touchées par l’explosion, de partager un repas ou une bière ensemble et surtout de parler. De plus, cela nous a permis de créer un environnement plus ludique et de construire de nouveaux souvenirs. Après tout, une maison, c’est fondé sur des souvenirs plus que sur des briques, de la peinture et des ustensiles de cuisine.
IR : C'est très vrai. Trois semaines après l'explosion, quels sont vos sentiments vis-à-vis de Beyrouth et du Liban ?
ST : La douleur ne disparaîtra jamais. Le simple fait de vivre au Liban est devenu pénible. Le Liban mérite mieux que ça. Mais rencontrer des familles, aider les autres et savoir que vous comptez pour ces personnes, qu’elles vous aiment sincèrement et réciproquement – tout cela atténue la douleur. C'est la raison pour laquelle je peux encore rester ici pour les quelques mois à venir. J'ai aussi choisi de repeindre ces maisons parce que c'est une chose que j'aime faire. Je trouve que c'est une activité qui crée du lien et même des habitudes familiales. En soi, c'est un acte symbolique. J'ai trouvé ma place et je dois admettre que si je n'avais pas autant travaillé à mon développement personnel, je n'aurais jamais été suffisamment forte pour voir la douleur et la souffrance des gens et pouvoir les aider et sympathiser avec eux.
Si vous souhaitez participer à la conversation de suivi en ligne qui aura lieu le samedi 10 octobre 2020 à 14h00 CEST avec les ancien-ne-s du Programme de Caux pour la paix et le leadership, vous pouvez vous inscrire en cliquant sur ce lien. Vous trouverez les conditions générales ici.
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