Une question me hantait : « Suis-je en sécurité ? »
16/04/2021
Temantungwa Ndlangamandla est née au Swaziland mais vit actuellement à Taïwan. En 2017 elle participe au Programme de Caux pour la paix et le leadership (CPLP) qu'elle décrit comme une expérience qui a changé sa vie. Elle aime les discussions sur la place des femmes dans les sociétés, la culture, la langue et comment ces dernières façonnent les sociétés. Elle nous partage son histoire :
Je ne me suis jamais sentie en sécurité en tant que femme dans la société dans laquelle je vivais. Dans ma culture il existe la tradition suivante : un garçon suit la fille sur laquelle il a jeté son dévolu jusque chez elle en lui déclarant son amour. Il s'agit d'une coutume ancienne selon laquelle un homme gagne l'amour d'une femme en l'épuisant. Pour la femme, il s’agit là souvent d’une expérience éprouvante et effrayante. Je dis cela parce que, en tant que femme, dès qu'un homme vous suit jusque chez vous, la peur de ce qui pourrait se passer ensuite ne vous quitte plus.
Je me souviens de cette épreuve. Un garçon de mon quartier s'intéressait à moi. Je lui ai fait comprendre que ce n’était pas réciproque, mais il insistait. J'ai continué à refuser ses avances, mais il semblait sourd à ma demande. Je me suis arrêtée, je l'ai regardé dans les yeux en essayant de lui expliquer aussi calmement et poliment que possible que cela ne marcherait jamais entre lui et moi. Ma culture m'avait appris que chaque fois que je m'adressais à un homme, je devais être polie, respectueuse et faire preuve d’humilité.
Je suis rentrée chez moi, persuadée d'avoir mis fin à son fantasme. Mais à ma grande surprise, alors que je sortais faire les courses le lendemain matin, il m'a à nouveau suivie. Cela a duré trois mois. Je me sentais harcelée, mais c’est ainsi que ma culture fonctionnait. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’en parler à mes frères. Ils m’ont ri au nez.
Je suis en colère parce que personne ne m'a écoutée, personne ne m'a prise au sérieux.
Au sein de ma communauté, je ne pouvais pas raconter tous les détails à mes frères. Je ne pouvais pas leur parler des insultes que je devais subir chaque fois que je refusais ses avances. Je n'ai pas pu leur dire qu’il avait trouvé l’adresse de mon internat, où il s’était rendu pour demander à me voir, qu’il avait mon numéro de portable et m’appelait pour me menacer. Quand enfin j'ai osé parler de tout ça, on s’est moqué de moi.
Mes frères m'ont dit qu'ils allaient s'en occuper « d’homme à homme », mais ils ne l’ont jamais fait. J'ai enduré ce harcèlement pendant un an, jusqu'à ce que garçon déménage. Je pensais avoir réussi à surmonter cette épreuve jusqu'à ce que je le revoie en ville un beau jour. J’étais paralysée. Mon corps était raide, je transpirais abondamment. J'avais l'impression que ce moment durait une éternité. Je suis restée ainsi jusqu'à ce qu'il parte. J'ai pris un autre bus pour rentrer chez moi car j'étais hébergée chez ma tante et je ne voulais pas qu'il connaisse ma nouvelle adresse. Je n'ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Une question me hantait : « Suis-je en sécurité ? ».
J'aimerais que notre monde dispose de plus d'espaces sûrs pour les femmes et les hommes, afin de travailler ensemble à la construction de communautés au sein desquelles chacun-e puisse se sentir en sécurité.
Je suis toujours en colère lorsque le nom de ce garcon est évoqué dans une conversation. Je suis en colère parce que personne ne m'a écoutée, personne ne m'a prise au sérieux. On aurait dit que personne ne se souciait de ma sécurité, et je pense à toutes les femmes qui ressentent la même chose.
Ce n'est que lorsque je suis allée à Caux que j'ai trouvé les mots. J'ai découvert comment m'élever contre ces traditions injustes et créer des espaces sûrs pour que les femmes puissent parler des problèmes culturels qui les touchent. Grâce au travail de réflexion et aux dialogues à cœur ouvert, j'ai découvert qu'il existait pour les hommes et les femmes des possibilités d'aborder les stéréotypes culturels qui les affectent.
J'aimerais que notre monde dispose de plus d'espaces sûrs pour les femmes et les hommes, afin de travailler ensemble à la construction de communautés au sein desquelles chacun-e puisse se sentir en sécurité.
Vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet ? Découvrez une conversation entre hommes autour de la dynamique des genres et de la sécurité.
____________________________________________________________________
Les conversations en ligne du Programme de Caux pour la paix et le leadership, les « CPLP Talks », offrent un espace en ligne privilégié où l'on partage des histoires et où se créent des liens. Cette série de conversations en anglais a vu le jour grâce aux alumni du Programme de Caux pour la paix et le leadership (CPLP). Ces discussions, loin d’être à sens unique, sont l'occasion d'écouter de jeunes leaders du monde entier, de s'inspirer et de s'engager.
Les CPLP Talks auront lieu sur Zoom. Si vous souhaitez participer à la conversation de suivi en ligne qui aura lieu le samedi 1 mai 2021 à 13:00 GMT, vous pouvez vous inscrire ici:
INSCRIVEZ-VOUS