Par-delà les décombres : les blessures invisibles de Beyrouth
Programme de Caux pour la paix et le leadership (CPLP)
28/09/2020
Le Programme de Caux pour la paix et le leadership (CPLP) a été créé par Initiatives et Changement Suisse. Parmi ses anciens, il compte des personnes originaires de plus de 40 pays, qui, toutes, ont souhaité apporter un changement dans leur communauté comme en elles-mêmes.
Afin d’élargir l’impact du CPLP, nous avons décidé de lancer une nouvelle série d'articles et d'événements. L’objectif est de susciter la réflexion et de permettre aux anciens du programme de partager leur histoire, leurs expériences, leurs défis ainsi que la manière dont ils ont transposé dans leur vie quotidienne les enseignements du CPLP. Le pouvoir des histoires continue à se faire sentir au sein du réseau des anciens, car nous nous inspirons sans cesse des expériences des uns et des autres. Chaque mois, nous mettons à votre disposition sur ce site un nouvel article de réflexion.
Non seulement vous pouvez lire ces articles aussi inspirants que stimulants, mais vous pouvez également vous inscrire à la conversation de suivi que nous organisons après leur mise en ligne afin de discuter plus en détail des expériences de nos formidables anciens.
Cette série a pour objectif de partager les réflexions et les actions courageuses prises par des jeunes du monde entier, à commencer par nos amis de Beyrouth qui ont fait preuve d'un courage et d'une force formidables lors des événements dévastateurs du 4 août 2020. Cette série se déroule en deux parties.
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Lorsqu'une maison devient une scène de crime, vous voulez vous envoler, mais, en même temps, cela vous donne encore plus envie de vous y accrocher.
Antoine Chelala est un jeune diplômé de l'Université américaine de Beyrouth. Diplômé en commerce et en psychologie sociale, il a participé au Programme de Caux pour la paix et le leadership en 2017 et 2019. En 2020, il a également assisté à la conférence inaugurale sur le leadership créatif, qui se tenait lors du tout premier Caux Forum Online. Convaincu de l'importance du changement personnel pour initier le changement au niveau local et international, Antoine travaille aujourd’hui avec Initiatives et Changement Liban. Comme beaucoup d'autres personnes, il était à Beyrouth le 4 août 2020, lorsqu’une énorme explosion a ravagé la ville. Voici son histoire.
« J'ai toujours eu une relation d’amour-haine vis-à-vis du Liban. Les récents événements et la catastrophe qui a frappé la capitale ont encore renforcé les sentiments contradictoires que j'éprouve à l'égard de mon pays.
Le Liban est ma maison et j'aime ma maison. Il n'y a pas d'endroit comme le Liban, même s'il apporte aussi son lot de douleur et de tristesse. Lorsqu'une maison est tuée, détruite ou cambriolée, il est difficile de s’y sentir en sécurité. Lorsqu'une maison devient une scène de crime, vous voulez vous envoler, mais, en même temps, cela vous donne encore plus envie de vous y accrocher. Lorsque la justice semble un idéal inaccessible, vous pouvez être sûr que votre maison se sera jamais en paix. L'explosion qui s’est produite à Beyrouth le 4 août 2020 à 18h07 est un événement affreux, un événement qui restera à jamais un moment d’horreur dans le cœur de tous les Libanais. Ce jour-là, le temps s'est arrêté. Quelques secondes ont suffi pour tout changer. Ce jour-là, chacun d’entre nous saignions d'une manière ou d'une autre.
Une semaine après l'explosion qui a ravagé le port de Beyrouth – et elle m’a semblé la plus longue semaine de mon existence –, je n’avais toujours pas pu prendre un stylo. Je savais que je ne trouverais jamais les mots justes pour exprimer ce que nos yeux ont vu ni ce que nos cœurs ont éprouvé. Aujourd’hui, je continue à voir les images défiler dans ma tête. Je continue à entendre les sons. Je continue à revivre ce moment et j'ai sans cesse peur que cela ne se reproduise un jour.
Comment pleurer une ville ? Comment pleurer un lieu ? Des souvenirs ? Comment pleurer des personnes que je n'ai jamais rencontrées ? Des victimes que je ne connaîtrai jamais ? Comment pleurer des monuments ? Une histoire et des bâtiments ? Comment pleurer Beyrouth ?
J'ai réalisé que beaucoup de personnes écrivaient à Beyrouth. Je me suis dit que peut-être, juste peut-être, en m'adressant à elle comme à une personne, il me serait plus facile de pleurer une ville morte. Beyrouth, oses-tu encore rêver après ce qui t'est arrivé ? Est-ce que tu nous crois quand on te dit que tu vas ressusciter ? Est-ce que ta douleur peut être apaisée par ce mince espoir auquel nous nous accrochons coûte que coûte ? Te sens-tu fière quand on te surnomme le Phénix ? Peu importe ce que j'écris sur toi, l'encre qui coule de ma plume ne pourra jamais représenter ni le sang ni les larmes qui ont coulé. Je dois juste accepter le fait que je ne trouverai jamais les mots justes.
D'une certaine façon, je veux m'accrocher à ma tristesse. Je veux poursuivre le deuil parce qu’il est de mon devoir de faire vivre la mémoire de la Beyrouth qui vivait. Je ne veux pas lâcher prise trop tôt. Je ne veux pas que Beyrouth tombe dans l'oubli. Toute cette douleur ne doit pas disparaître ; je veux être ému par elle chaque jour. Toute cette souffrance doit être reconnue et acceptée.
Beaucoup de gens autour de moi, et moi y compris, se sentent coupables de ne pas avoir assez souffert. Ce sentiment de culpabilité fait obstacle au bonheur, à la paix intérieure et à la clarté mentale. Des activités aussi anodines que lire un livre, se promener ou regarder un film sont soudain devenues un luxe que seuls certains d'entre nous peuvent encore se permettre. Je n'ai pas l'impression de mériter ces choses alors que Beyrouth est toujours en ruines. Trop de cœurs ont été brisés et, contrairement aux bris de verre, aucun balai ne peut effacer ces cicatrices éternelles. Je me sens aussi coupable parce que je sais qu'un jour, les choses reviendront à la normale pour moi, puisque nous n'avons perdu aucun membre de notre famille proche, que nous sommes tous bien portants et que notre maison est toujours debout. Des centaines de milliers de personnes, en revanche, ne pourront pas « revenir à la normale » ; leur vie a été changée à jamais.
Si vous souhaitez participer à la conversation de suivi qui aura lieu en ligne avec les anciens du Programme de Caux pour la paix et le leadership le 10 octobre 2020 à 14h00 CEST, vous pouvez vous inscrire en cliquant sur ce lien. Vous trouverez les conditions générales ici.
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