Le prophète de la compassion écologique
25/06/2019Marc Ian Barasch se décrit lui-même comme « un entrepreneur social, un communicateur, un méditant et un networker ». Un coup d'œil sur Wikipedia révèle qu'il est aussi leader visionnaire international et innovateur. Les titres de « fondateur » et de « cofondateur » reviennent eux aussi régulièrement dans sa biographie, aux côtés d'initiatives écologiques qui ont fait leurs preuves, de livres et de films sur des sujets allant de la guérison holistique à la phénoménologie des rêves, en passant par la science de l'empathie.
Parmi les entreprises sociales dont il est à l’origine, on peut citer la Green World Campaign et Green World Ventures, toutes deux inspirées, selon lui, par l'écriture de The Compassionate Life (un best-seller qui a influencé le mouvement Compassionate Cities et le documentaire I Am et qui a rencontré un franc succès). En 2018, il organise la conférence ReGen18 à San Francisco, qui réunit 500 dirigeant-e-s du mouvement régénérateur alors en plein essor.
À la fin des années 1960, Marc Ian Barasch s’engage activement dans les mouvements pour le changement culturel et social. Il abandonne ses études à l'université de Yale, fait de l'auto-stop dans les Rocheuses et étudie le bouddhisme avec un lama tibétain avant de se lancer dans la publication de revues telles que New Age Journal, Natural Health et Psychology Today. Il produit et écrit des documentaires sur l'environnement pour Ted Turner (l'un d'entre eux, One Child, One Voice, présenté lors du Sommet de la Terre de 1992, a été vu par 2 milliards de personnes dans 160 pays) et écrit une série de livres dont l’influence culturelle est considérable.
Il y a treize ans, Marc Ian Barasch renonce à l'écriture et se fixe l’objectif, quelque peu simpliste au premier abord, de maximiser le bien qu’il veut insuffler dans le monde. Au cours de cette quête, il rencontre un homme qui plante des arbres selon les méthodes ancestrales de l'agroforesterie.
Quand Marc Ian Barasch découvre qu'il existe un moyen de combiner l'alimentation humaine et le reboisement, c’est le déclic ! Cette prise de conscience, « la compassion verte », l'a amené à explorer comment résoudre les crises à la fois écologiques et humaines, et ce d'une manière non contradictoire ou pessimiste, mais en suivant une approche holistique, optimiste, conciliante et curative.
Il est invité en Éthiopie, où le patrimoine forestier a été réduit à 1 % de sa superficie initiale. Les dirigeants locaux lui ont confié que si le monde entier s’était montré très magnanime envers le pays, cela n'avait eu que peu voire pas d'impact durable sur la vie des Ethiopien-ne-s situé-e-s tout en bas de la pyramide des classes et pris-e-s dans un cercle vicieux. Les habitant-e-s les plus pauvres ont abattu des arbres dans des écosystèmes fragiles pour répondre à des besoins impérieux. Or, en l’absence d’arbres, les sols s'érodent, deviennent infertiles, les terres arables diminuent, les aquifères et les précipitations se font plus rares. Les ressources deviennent alors source de conflits et l'appauvrissement des terres ne fait que nourrir les vagues migratoires et l’exode rural vers les bidonvilles urbains. En Ethiopie, Marc Ian Barasch a fait l’expérience du lien existant entre la pauvreté, la faim, l'ignorance, la déforestation, les conflits et le changement climatique.
Mais il est aussi apparu que la régénération était possible. La population locale voulait à tout prix retrouver les paysages luxuriants évoqués par les ancien-ne-s. Il se souvient avoir visité un village où le puits était hors d’usage et où les enfants marchaient plusieurs kilomètres par jour pour aller chercher de l'eau. En chemin, ils utilisaient toujours un peu d’eau de leurs lourds jerrycans pour arroser les arbres plantés sur une colline. Marc Ian Barasch a subventionné la réparation de ce puits.
Son projet suivant a été un projet de régénération des abeilles et des arbres en Ethiopie. « Nous avons travaillé avec la communauté pour planter des calliandres et des gravilliers afin de prévenir l'érosion et d'enrichir le sol dégradé. Les grandes et belles fleurs rouges du calliandre attirent les abeilles mellifères, ce qui a augmenté les rendements des ruches du village. Les abeilles ont en même temps pollinisé les cultures de café, créant une incitation économique pour les villageois-e-s à développer cette culture », explique-t-il. Marc Ian Barasch a réalisé que tout était lié, qu’il fallait tenir compte de tous les intrants et extrants, de ce qui était en amont et en aval, des facteurs internes et externes, et de tous les intervenant-e-s, humain-e-s et planètes, du biome humain aux microbes présents dans le sol.
C'est ainsi qu'il a lancé la Green World Campaign (GWC), une campagne de restauration des forêts en Ethiopie et au Mexique, impliqué les écolières et écoliers jordanien-ne-s dans la plantation d’arbres, et soutenu des programmes agroforestiers dans les anciennes zones de conflit aux Philippines. Au cours des neuf dernières années, GWC a planté quelque 3,5 millions d'arbres au Kenya.
En tout, ce sont déjà plusieurs centaines de milliers d'enfants qui ont bénéficié des programmes de Green World Schools au Kenya, et qui influencent à leur tour des centaines de milliers de membres de leurs communautés. De nombreux moringas, arbres à croissance rapide et résistants à la sécheresse et au changement climatique, ont poussé dans les cours d'école et les fermes de la région côtière kenyane. En plus d’être un « super-aliment », les moringas sont source de revenus (huile produite à partir des graines). Leurs feuilles contiennent 30 % de protéines et tous les acides aminés essentiels. Aucun village ne mourra de faim s’il plante des moringas.
En 2018, Marc Ian Barasch participe au Dialogue de Caux sur la terre et la sécurité, ainsi qu’à la Table ronde des décideurs et décideuses. Il a particulièrement apprécié les nouvelles relations de travail qui y ont vu le jour, dans le cadre d’une conférence bien conçue qui « laissait une grande place à la collaboration, la compassion et la sensibilisation ».
Marc Ian Barasch a suggéré que Caux devienne le lieu d'un « Davos régénérateur » de haut niveau. L'idée fait son chemin… En attendant, les propositions de projets fusent : inciter toujours davantage de personnes à s’engager dans des projets régénératifs, implanter un projet pilote de plantation d’arbres à l’aide de drones sur la côte kényane, en partenariat avec BioCarbon Engineering, une collaboration avec DJ Spooky, fusionnant la régénération environnementale et sociale avec les arts urbains, la musique et la culture, étendre les programmes Green World Schools du Kenya à d’autres pays en partenariat avec des collaborateurs et collaboratrices rencontré-e-s au CDLS, sans oublier une coentreprise pour lancer une industrie alimentaire régénérative basée sur la culture du moringa, en commençant par le Ghana et le Nigeria.