Mohammed Abu-Nimer: Le dialogue ou comment créer une paix durable
Des outils pour les acteurs et actrices du changement 2020
23/09/2020
Mohammed Abu-Nimer enseigne la paix internationale et la résolution des conflits à la School of International Service de l'American University de Washington. Il est également conseiller principal auprès du Centre international pour le dialogue (KAICIID). Mohammed Abu-Nimer est un expert en matière de résolution des conflits et il organise des dialogues depuis une trentaine d’années. Depuis 1993, il est l'un des principaux universitaires à contribuer au programme Caux Scholars et, en juillet 2020, il est intervenu lors de la conférence intitulée « Des outils pour les acteurs et actrices du changement ». Il a accepté de nous en dire plus sur l’importance du dialogue dans la construction d'une paix durable.
La construction de la paix fait partie de l’ADN du professeur Abu-Nimer. Pendant de nombreuses années, son grand-père a en effet été médiateur au sein de sa communauté et c’est à 19 ans, alors qu’il commençait tout juste l’université, que Mohammed Abu-Nimer a participé à son premier dialogue. À cette époque, il pensait que le dialogue était une forme de militantisme. C’est ensuite qu’il a réalisé que si le militantisme et le dialogue visent tous deux le changement, le dialogue le fait non par la confrontation, le blâme ou l’humiliation, mais en nouant des relations, en améliorant notre compréhension de nous-mêmes et des autres et en trouvant ensemble des manières d’initier le changement. Depuis lors, il a eu recours au dialogue pour résoudre des conflits interconfessionnels, interethniques et interraciaux dans le monde entier.
Qu’est-ce que le dialogue ?
Pour Mohammed Abu-Nimer, le dialogue, c’est la recherche de points communs avec les autres. Ces points communs nous permettent de considérer ces derniers comme des êtres humains à part entière et de bâtir une relation avec eux. Cependant, insiste-t-il, ce n'est pas l'étape la plus importante. L'étape la plus importante est aussi la plus difficile : elle consiste à explorer ce qui nous distingue les uns des autres. « Grâce à nos points communs, explique-t-il, nous pouvons construire un réseau de relations qui permet aux gens de résoudre leurs problèmes et leurs différences de manière pacifique. Mais le but n’est pas uniquement de nouer des relations avec l'autre ; le but, c’est aussi de répondre à la question suivante : "Que pouvons-nous faire ensemble pour résoudre nos problèmes ?" ». Le dialogue permet de mettre en place des stratégies concrètes qui apporteront in fine la paix dans la communauté.
Sans justice, pas de paix
Sans justice, il ne peut y avoir de paix, poursuit M. Abu-Nimer. « Par exemple, aux États-Unis, ni les Afro-Américain-e-s ni les personnes non blanches ne parviendront jamais à se réconcilier totalement avec le système politique en place et la communauté qui le soutient, tant qu’il n’y aura pas de changements structurels majeurs ». Seul le dialogue pourra impulser un tel changement en faisant prendre conscience aux différentes parties prenantes « qu'il existe de nombreuses manières de se faire justice, que cela passe par la voie du militantisme, du boycott ou de toutes les autres techniques de paix et de résistance non violente ».
Bien que le dialogue ne soit pas la seule manière de pacifier une société, il contribue toutefois à ancrer la paix dans la durée. Souvent, les changements structurels n’y suffisent pas. Ainsi, en Afrique du Sud, la fin de l'Apartheid a bouleversé le système tout entier, mais elle n'a pas pour autant mis fin à la ségrégation raciale, à la violence culturelle et aux préjugés. « La structure institutionnelle a beau être juste et équitable. Si elle ne s'accompagne pas d'un dialogue, d'une culture et de pratiques pacifiques, alors il n'y a aucune garantie que la paix sera durable. Si une difficulté survient (par exemple, une catastrophe naturelle ou une crise économique), alors il est probable que les gens retomberont dans une logique de conflit violent ». Le dialogue favorise, au contraire, une paix profonde parce qu'il ancre aussi la paix au niveau individuel. « C’est l'outil le plus puissant pour prévenir les conflits violents. Il y aura toujours des conflits, mais le dialogue pourra empêcher la violence de prévaloir ».
Promouvoir une culture du dialogue
Le Centre international pour le dialogue (KAICIID), où M. Abu-Nimer officie comme conseiller principal, vise à construire une culture de la paix. Son objectif est que le dialogue fasse partie du programme scolaire, qu’il soit enseigné aux enfants comme une compétence essentielle au même titre que traverser la route en regardant des deux côtés. Si nous voulons créer une société moins cruelle, moins raciste, moins xénophobe, nous devons tous « maîtriser certains des outils de base qui rendent possible le dialogue ». Dans une société fondée sur celui-ci, chacun-e pourrait s’exprimer sans être jugé-e ni affubler d’une quelconque étiquette. « Si nous n'institutionnalisons pas le dialogue, une grande partie de nos efforts pour bâtir la paix seront vains ».
Comme le dit M. Abu-Nimer, le dialogue nous permet de rencontrer non seulement les autres, mais également nous-mêmes. « Grâce au dialogue, nous pouvons approfondir notre compréhension de nous-mêmes, de ce que nous voulons et de ce qui est important pour nous. Cela nous change et nous fait grandir en tant qu'êtres humains. La pratique du dialogue m'a par exemple aidé à être plus patient, à tenir compte du point de vue de chacun-e et à éviter autant que possible d’être dans le jugement. Il me permet également de mieux comprendre les griefs des autres et de mieux me comprendre moi-même ». En pratiquant le dialogue, nous devenons donc plus conscients du fait que notre conscience du monde est limitée et que nous dépendons des autres pour atteindre nos objectifs.
Par où commencer ?
Il donne deux derniers conseils à tous ceux qui se retrouvent impliqués dans un conflit, quel qu'il soit. D’abord, « demandez-vous quelle part vous avez dans ce conflit et ayez conscience du rôle que vous jouez ». Ensuite, « n’oubliez pas qu'un conflit est aussi une opportunité de changement. Il s'agit d'une tentative de gérer les relations de dépendance et d'interdépendance ». Identifiez ce que l'autre partie veut et « comment vous pouvez l'aider à obtenir ce qu'elle veut », sans vous oublier ni perdre de vue ce que vous voulez obtenir. Tout cela vous aidera à trouver un moyen de résoudre pacifiquement le conflit en question et, par la même occasion, de grandir.
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