La Terre et nous : Repenser l’avenir
Dialogue de Caux sur la terre et la sécurité 2019
21/08/2019
« Essayez un instant de vous mettre dans la peau du dernier rhinocéros blanc.» C’est ce qu’a demandé Alan Laubsch, le fondateur de EarthPulse, aux participant-e-s lors du Dialogue de Caux sur la terre et la sécurité 2019 (CDLS). « Votre famille a été décimée. Vos amis sont tous morts. Vous n’avez plus personne avec qui jouer. Vous vous réveillez sans personne à vos côtés », a-t-il ajouté, convaincu que cet instant charnière, qu’il appelle « l’heure d’or » (Golden Hour), est le moment où une action décisive peut mener à une économie positive pour la Terre, et la laisserait même dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvée.
La journée était consacrée au capital tant naturel, social, spirituel, qu’humain. Louise Brown, chargée de finances auprès de la Banque africaine de développement, a présenté son travail portant sur un mécanisme d'investissement dans l'adaptation et la résilience, et qui lui a été inspiré par le CDLS de l'année dernière. En effet, ce mécanisme permettrait, par exemple, de rémunérer les productrices et producteurs de cacao africain-e-s pour des pratiques agroforestières qui diminuent les risques pour le climat, tout en améliorant leur propre niveau de vie et en mitigeant les gaz à effet de serre. Un prototype pour une application à l'agroforesterie et aux mangroves est en phase d’élaboration, et la Banque recherche des investisseurs du secteur privé pour élargir cette initiative à l'échelle du marché.
Alan Laubsch s’est félicité du développement de ce plan d'investissement qui s’inscrit dans une démarche d'adaptation. Il a une fois de plus souligné que la santé des écosystèmes doit passer bien avant le bien-être des marchés financiers abstraits. Il a pris l’exemple des forêts de mangroves capables de résister à des conditions climatiques extrêmes, et qui représentent une source importante de nourriture pour les poissons, filtrent les toxines de l'eau et séquestrent une grande quantité de dioxyde de carbone, tout cela en favorisant une biodiversité unique.
Il a dressé sur Lykke Exchange, une start-up suisse utilisant la technologie blockchain, la liste des premiers jetons numériques au monde issus des mangroves et du carbone stocké, et a affirmé que de telles technologies nouvelles impulsent des moyens efficaces pour créer de la valeur, apporter davantage de transparence, renforcer la résilience et éliminer les intermédiaires. Puis il a cité l'exemple de CedarCoin, une initiative qui permettra à la diaspora libanaise de financer la restauration des écosystèmes dans son pays d'origine.
Le fondateur de Earthbanc et de Liquid Token, Tom Duncan, s’était déjà rendu à Caux en 2009 en tant que Caux Scholar, participant ainsi aux débuts de l’aventure CDLS. Il a partagé les progrès réalisés depuis le CDLS 2018 grâce à des collaborations avec Alan Laubsch, Skymining et FlowX. Liquid Token permet l'émission de jetons, tels que CedarCoin, la Mangrove et les Ponts vivants du Meghalaya, représentant le paiement de services écosystémiques.
Skymining a été créé par un participant à l’édition 2018 du CDLS, et développe des solutions d’énergie renouvelable qui séquestrent de grandes quantités de carbone dans le sol, tout en produisant des cultures agricoles biodiversifiées, ainsi que des briquettes de biomasse en remplacement du charbon. Segmenter le système de production de briquettes énergétiques en jetons permettra à n'importe qui dans le monde de soutenir l'initiative et de contribuer à sécuriser les systèmes alimentaires, hydrauliques et énergétiques en Afrique, en Inde et en Amérique du Sud.
Earthbanc est la première plate-forme financière à répondre aux exigences des investisseurs mondiaux désireux de respecter les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), en proposant des obligations vertes et des obligations ODD (Objectifs de développement durables), tout en offrant les avantages de la technologie blockchain : sécurité, vérifiabilité et faible coût. Les investissements ESG ont le vent en poupe et s’élèvent actuellement à 20 billions de dollars. Pour le CEO de Earthbanc, Tom Duncan, ce type d’investissements pourrait prévenir une crise climatique. Il coopère actuellement avec de nombreux professionnels via Initiatives pour la terre, la vie et la paix (ILLP) pour envisager une organisation mondiale de certification pour l'évaluation des services écosystémiques.
C’était ensuite au tour de Melinda Woolf, fondatrice de The Future of Humanity, de présenter son action pour accélérer l'investissement dans les ODD. Selon elle, investir dans des cultures durables permettrait de créer un secteur aux retombées sociales et écologiques importantes, et dont les revenus pourraient se chiffrer en milliards de dollars. Elle nous a livré son idée de remplacer le plastique conventionnel par du bioplastique et ainsi résoudre le problème de la pollution des océans. Elle soutient les modèles économiques dans lesquels les agricultrices et agriculteurs travaillent main dans la main pour offrir des produits et des services qui n’impactent pas de manière négative ni l'écologie ni le milieu aquatique.
Dernière à témoigner Chau Tang-Duncan, Directrice des opérations auprès de Earthbanc, a partagé son expérience d’un visage plus humain des secteurs de l'investissement et des banques. Dans le cadre de ses fonctions précédentes, à la fois en tant que commissaire au commerce pour l'énergie propre et l'environnement (ASEAN) et en tant que directrice de l'investissement au UK Trade & Investment (UKTI), elle a participé à des projets de restauration de mangroves à grande échelle le long des côtes vietnamiennes. Les mangroves sont indispensables à la protection de l’habitat, d’infrastructures fondamentales et de terres agricoles contre la salinisation causée par les tempêtes côtières, les cyclones et les tsunamis. En travaillant pour UKTI, elle a été en Grande-Bretagne responsable d’un budget de £500 millions d’investissements en infrastructures, en énergies renouvelables, et en recherche et développement.
Cependant, la finance et les technologies novatrices ont leurs limites. Chau Tang-Duncan conclut en insistant sur l’importance de faire preuve de compassion, de collaborer avec les autres, et d’écouter son instinct pour changer les choses lorsque cela peut paraître impossible, comme dans le cas de la crise climatique par exemple.
Texte: Rishabh Khanna, Comité exécutif d’Initiatives pour la terre, la vie et la paix (ILLP)
Photos: Leela Channer