Gouvernance de la terre au Sahel
Comment catalyser la sécurité et la résilience climatique par la restauration des terres?
19/01/2021
Dans le cadre du partenariat que les lie, la fondation Initiatives et Changement Suisse et le Département fédéral suisse des affaires étrangères (Division Sécurité humaine), ensemble avec le Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), Initiatives for Land, Lives, and Peace, Environmental Peacebuilding Association, et Global EverGreening Alliance, ont organisé un webinaire sur le thème « Gouvernance de la terre au Sahel : Comment catalyser la sécurité et la résilience climatique par la restauration des terres ? ». Tenu le 2 décembre 2020, il faisait suite à celui du 10 juillet 2020 sur « La terre et la sécurité en Afrique subsaharienne », organisé dans le cadre du Caux Forum Online 2020.
Présidé par M. Luc Gnacadja (Bénin), Fondateur et président de GPS-Dev (Governance & Policies for Sustainable Development), ancien Secrétaire exécutif de la CNULCD (2007-2013) et ancien Ministre de l’Environnement du Bénin (2004-2007), le panel a réuni plusieurs personnalités actives au cœur des préoccupations de sauvegarde de la terre et de la paix au Sahel :
- SE Mme Bouaré Bintou Founé Samaké, Ministre de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille du Mali
- Le Colonel Major Ousmane Traoré, ancien Gouverneur de la Région de l’Est du Burkina Faso
- M. Oumar Sylla (Sénégal), Directeur par interim de ONU-Habitat et ancien Directeur du Global Land Tool Network (ONU-Habitat), Nairobi
- Mme Salima Mahamoudou (Niger), Associée de recherche, Land Accelerator Programme, World Resources Institute, Washington DC
- M. Abasse Tougiani, Chercheur principal, Institut National de la Recherche Agronomique du Niger (INRAN), Niger
Ce webinaire interactif montra dans toutes ses dimensions les liens qui unissent une bonne gestion des terres et la sécurité des populations sahéliennes ainsi que l'urgence de donner, à ceux qui sont la force vive des régions agricoles, les femmes et les jeunes, la possibilité d'accéder à la gestion des terres, ceci afin de répondre à leurs besoins et, par là-même, de réduire les risques d'attirance vers les groupes extrémistes violents. Il présenta également, sous de nombreux angles, des options et des solutions qui permettent de catalyser la sécurité et la résilience climatique, à travers la gestion durable des ressources naturelles, en particulier par la restauration des terres dégradées ou par l'investissement financier, encore peu actif dans les terres agricoles au Sahel. Et il mit bien en exergue le mot clé de la gouvernance, rien n’étant possible sans la volonté et les politiques publiques stimulant et encadrant une action environnementale au service de la sécurité et de la paix.
Dans son introduction, Monsieur Luc Gnacadja montra combien les systèmes agricoles et pastoraux sont fragiles au Sahel, menacés qu'ils sont par les défis interconnectés de la dégradation de la terre, de l’insécurité, de la faible gouvernance et du changement climatique. Or, il est difficile de créer, selon lui, un cycle vertueux de changement tant que la question transversale de la gouvernance des terres n'aura pas été révolutionnée. Note d'espoir cependant : il a rappelé qu’au sortir des deux décennies terribles des années 70 et 80, des mouvements de restauration de terres dégradées se sont développés, en particulier au Niger, au Burkina et au Mali, par le processus de régénération naturelle assistée (RNA ou FMNR en anglais) avec de bonnes pratiques aujourd’hui bien documentées. C'est, entre autres, dans cette direction qu'il est nécessaire de tourner nos regards aujourd'hui.
Pour le Colonel Major Ousmane Traoré, des sols globalement pauvres couplés à une transhumance urbaine en pleine expansion et un changement climatique aux effets visibles restreignent fortement l’offre de ressources foncières pour les activités agro-pastorales, et font des Burkinabè « des paysans sans terres », alors même que 86% de la population active de son pays vit de ces ressources. La coexistence de régimes fonciers traditionnels et modernes ainsi que les pesanteurs socio-culturelles limitent l’accès sécurisé des femmes et des jeunes aux terres. Les populations perdent aussi souvent le contrôle de leurs ressources faute d’un droit adapté et d’une application judicieuse. Tout cela contribue à une frustration grandissante, qui est exploitée par les groupes extrémistes violents.
Comme, par exemple, quand les populations n'ont plus accès aux terres dont l'Etat décrète soit qu'elles lui appartiennent et qu'il les donne à gérer à des entreprises d'exploitation, ou qu'elles sont protégées et que leur accès est interdit. Les groupes extrémistes proposent une réponse simple : ils laissent aux populations le libre accès aux produits de l'exploitation. Comme ces ressources sont souvent devenues le seul bien économique de la communauté, il n'est pas étonnant que celles-ci acceptent de tels contrats. Il est donc urgent de proposer et trouver des solutions. Constatant que la terre est un bien lié à l’économie, mais aussi un espace de vie lié au social, à la culture, aux traditions et à la politique, il se dit persuadé qu'une gestion harmonisée du patrimoine foncier - par des programmes de gestion de la fertilité des sols, par exemple - permet une hausse de la productivité globale, diminue les risques d’insécurité alimentaire et de stratégies de survie néfastes (vente des moyens d’existence et des capacités de production) et crée des emplois pour les jeunes ruraux – autant d’éléments permettant de couper les racines de l’insécurité et de la violence.
Madame Bouaré Bintou Founé Samaké, mentionnant que les sols non dégradés au Mali ne représentent que 20 % à peine de la surface du pays, plaide vivement pour l'amélioration de l’accès à la terre des jeunes et des femmes, dont 80% dépendent directement de l’activité agro-pastorale. Pratiquement exclus de la gestion de terres arables (mécanismes formels de transmission des terres qui vont aux hommes aînés, coutumes ancestrales), ceux-ci doivent se contenter le plus souvent des terres dégradées ou abandonnées. Il existe certes, au Mali, une loi d'orientation agricole qui stipule que 10% des terres aménagées doivent revenir aux femmes et aux jeunes. Hélas, utilisés comme force de travail et rarement propriétaires des champs, ceux-ci peinent à faire appliquer la loi. De plus, le chômage exacerbant l'impatience des jeunes, ceux-ci trouvent dans les moyens apportés par les groupes violents une source de survie alternative et aisément accessible. A ces difficultés s'ajoute la non délimitation des terres et des frontières qui fragilise encore davantage ceux, femmes et jeunes principalement, qui utilisent les espaces agricoles sahéliens pour leur revenu ainsi que l'impossibilité, en temps de violence, de se rendre aux marchés et de vendre leur production. L'oratrice est donc persuadée que tant que les femmes et les jeunes ne seront pas intégrés aux prises de décisions tant centrales que locales, aucune approche nouvelle n'est possible. Il en est de même des processus de paix qui ne peuvent réussir que si les communautés, dont les femmes et les jeunes, en sont les principaux moteurs.
Pour Monsieur Oumar Sylla, le fondement d'une bonne politique de la terre repose sur la participation complète des populations locales aux décisions les concernant. La faillite des politiques passées vient de là : décrets imposés des capitales, trop de mimétisme, pas d'appropriation des communautés, pas de respect des besoins fondamentaux des paysans et des bergers, non utilisation des mécanismes locaux de résolution des conflits et de la gestion des terre, centralisation et sectorialisation des politiques agricoles. Cette situation ne laisse souvent aux jeunes des campagnes que deux options : la migration ou l'engagement dans les groupes extrémistes violents. Les changements climatiques ne font que se superposer à ces réalités et les exacerber. Pour lui, la dimension sociale et écologique des enjeux nous oblige à mettre en place des approches multisectorielles et à placer les gens « au cœur de la vie ». Travailler sur les causes des difficultés, renforcer le pouvoir local, mettre la terre, dont sa restauration, au centre des programmes gouvernementaux lui paraît une condition absolue pour améliorer le sort des populations sahéliennes. La communauté internationale, dont l'ONU, doit participer activement à ces efforts, en particulier en formant les agriculteurs, en proposant des cadres de dialogue et en créant des coalitions créatives. Enfin, professionnellement au centre du système des Nations Unies, il préconise l'intégration d'experts agricoles et de restauration des sols dans les missions onusiennes sur le terrain, ainsi qu’au siège.
Quant à Monsieur Abasse Tougiani, il démontra à travers les expériences faites au Niger, qui ont abouti récemment à l’adoption d’un décret, que la régénération naturelle assistée des terres (RNA) avait de multiples avantages, tant humains et sociaux que scientifiques et climatiques. Conservation des eaux, renouvellement des sols, préservation des paysages, nette amélioration de la rentabilité des terres et confiance renouvelée des pouvoirs locaux dans leur capacité de gestion en sont les résultats immédiats. Cette pratique repose principalement sur l'engagement des communautés locales « qui savent ce qu'elles veulent ». Il rappela qu'en 2005, quand le pays était menacé de famine, les zones RNA du Niger sont restées excédentaires et qu'actuellement, quand les menaces de violence font fuir les habitants, se sont souvent les femmes qui restent sur place et qui assurent la poursuite de la production. Il souligne néanmoins les difficultés qu'ont les femmes à hériter de terres considérées comme des « joyaux » par les hommes de la famille. Quand la femme se marie, elle n'a pas droit à l'héritage terrien de ses parents, ce qui, souvent, prive ses enfants de futures possessions. On retrouve donc ici les mêmes liens entre insécurité-terre et les mêmes réponses : investir dans la restauration des terres pour répondre aux besoins des populations et adopter le dialogue et la gestion participative pour le faire.
Il revenait finalement à Madame Salima Mahamoudou d'introduire la dynamique du secteur privé dans la préservation et le développement des espaces agricoles. Se demandant comment il va pouvoir être possible de restaurer 100 millions d'hectares de terres dégradées au Sahel, elle plaida, exemples à l'appui, l'engagement des investisseurs privés dans cette immense tâche. Il faut leur démontrer que de tels investissements sont rentables, et pour cela la recherche et l'accumulation de données tangibles sont indispensables. C'est aussi ce que fait son programme, qui met en contact « bailleurs et acteurs » et qui enseigne aux agriculteurs à vendre leurs activités, à créer des business plans, à être compétitifs au niveau régional, à augmenter le nombre de leurs employés et à prendre en considération la dimension écologique et climatique de leur travail. La restauration des terres n'est pas seulement une question pour experts en développement mais c’est aussi une question de gains économiques. Elle relève néanmoins que les zones d'instabilité politique ou de violence font peur aux investisseurs et que son organisation a dû cesser ses activités aux alentours de Diffa (Niger) à cause des groupes extrémistes. Elle a également reconnu que les femmes ne jouent quasiment aucun rôle dans l'entreprenariat car celles-ci « n'ont pas accès à la terre », sauf au sein des coopératives. Elle trouve cela grave et incitatif pour que les autorités soient activement mobilisées.
En conclusion de ce webinaire dense et plein d'espoir, deux propos entendus peuvent être retenus : « A notre époque, on peut communiquer très facilement, mais peut-on s'entendre ? » et un souhait : « Que chacun fasse sien ce qu'il a appris de l'autre ! ». Le Président du panel a également ouvert la voie pour une suite à donner à ces échanges : « Rendez-vous la prochaine fois pour discuter des résultats ! ».
Facilitateurs
Le Dr Alan Channer, spécialiste de la restauration des terres et la construction de la paix, a remarqué que, alors que la technologie internet nous permet de communiquer très, nous sommes néanmoins confrontés au défi de nous comprendre les uns les autres. Il a souligné l’importance de ce webinaire pour favoriser la compréhension au-delà des frontières de la nation, de la discipline et du milieu de vie.
Mme Carol Mottet, Conseillère principale à la Division Sécurité humaine du Département fédéral des affaires étrangères de Suisse, est responsable d’un programme de prévention de l’extrémisme violent et elle a contribué à établir le lien entre les spécialistes de l’environnement et ceux de la sécurité.
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