1990 : Le roi Michel de Roumanie - « Le mal ne peut durer indéfiniment ».
Par Andrew Stallybrass
14/09/2021
Au cours de l'été 1990, six mois après le renversement du régime communiste dans leur pays, 30 jeunes Roumain-e-s sont venu-e-s à Caux. C'était la première fois qu'ils et elles sortaient du bloc de l'Est, et le groupe avait hésité à venir, ne sachant pas trop ce qu'ils et elles allaient trouver. Le groupe a été bouleversé par l'endroit.
Quelques jours après leur arrivée, nous leur avons demandé s'ils et elles souhaitaient rencontrer le roi de Roumanie en exil, qui avait souvent visité Caux avec sa femme, la reine Anne, et leurs filles. Leur réponse enthousiaste nous a montré à quel point le roi Michel était populaire parmi ceux qui avaient grandi sous le communisme. Plusieurs de ces jeunes sont revenu-e-s année après année pour aider dans divers départements des conférences à Caux.
Les liens de la famille royale de Roumanie avec le Réarmement moral (maintenant Initiatives et Changement) remontent à bien avant la Seconde Guerre mondiale, lorsque Frank Buchman a rencontré la grand-mère du roi Michel, la reine Marie, à Bucarest.
Le roi Michel rencontra à nouveau Buchman dans les années 1950, après qu'il eut été déposé par les communistes. « Avec ma tristesse et mon malheur d'avoir perdu mon pays, mon amertume s'était accrue en raison d'un sentiment de non-appartenance », a-t-il déclaré. « Après notre rencontre, j'ai senti que mon esprit et mon âme étaient soulagés d'un grand poids. J'ai compris qu'aucun problème n'était trop grand ou trop petit pour Frank. Le plus grand ou le plus petit problème dans la vie de quelqu'un d'autre recevait la même attention affectueuse de sa part ».
J'ai senti que mon esprit et mon âme étaient soulagés d'un grand poids.
Par la suite, lui et sa famille se rendent fréquemment à Caux depuis leur domicile près de Genève et participent à diverses activités du Réarmement moral. La Reine Anne se sentait plus à l'aise dans la cuisine de Caux que dans les réunions et il existe un certain nombre d'histoires sur le choc de ses collègues cuisiniers lorsqu'ils ont réalisé qui elle était.
Michel est devenu roi de Roumanie en 1940, à l'âge de 18 ans, lorsque le Premier ministre, Ion Antonescu, eu forcé son père, le roi Carol, à abdiquer pour rallier le pays à l'Allemagne nazie. Le roi Michel n'a pas pu empêcher cette manoeuvre, mais son opposition à toute rafle systématique des Juifs a permis à l'importante communauté juive de Roumanie de moins souffrir que dans n'importe quelle autre puissance de l'Axe.
En août 1944, le jeune roi pluttôt timide accède soudainement à la célébrité internationale lors d'un coup d'État qui fait basculer la Roumanie du côté des Alliés. Sachant que l'armée roumaine était loyale au roi, même si elle était commandée par Antonescu, le roi Michel convoqua Antonescu au palais et exigea sa démission. Devant son refus, la garde du palais l'arrêta.
« Antonescu poussa des hurlements à faire trembler le palais », m'a dit le roi Michael dans une interview en 1992. « Ils l'ont emmené au premier étage, alors qu'il les menaçait d'être exécutés, et ils l'ont enfermé dans la chambre-forte qui avait été construite pour abriter la collection de timbres de mon père ».
Les membres du gouvernement fasciste ont été convoqués un par un, et arrêtés à leur arrivée. L'armée a reçu l'ordre de cesser les combats, et un gouvernement provisoire fut formé. Le pays est en partie sauvé de la destruction, mais une autre lutte s'engage. Après la guerre, dans le cadre de la division de l'Europe décidée par Churchill et Staline, un gouvernement communiste prend le pouvoir. En 1947, il exige l'abdication du roi Michel, menaçant de fusiller 1 000 étudiants et jeunes gens s'il refuse.
Il quitta la Roumanie sans aucune ressource et dut travailler pour subvenir aux besoins de la reine Anne et de leurs cinq filles. Il a créé une exploitation maraîchère en Angleterre, puis travailla pour une entreprise aéronautique américaine, avant de s'installer à Genève, où il monta une entreprise d'électronique. Il a également travaillé comme agent de change.
« Je ne pouvais pas imaginer que l'exil durerait si longtemps », dit-il. « Je pensais que ce ne serait qu'une question de mois. L'Ouest m'a laissé tomber comme une patate chaude. Mais je n'ai jamais perdu espoir. Le mal ne peut pas durer indéfiniment ».
Je ne pouvais pas imaginer que l'exil durerait si longtemps. Mais je n'ai jamais perdu espoir.
À Genève, la famille reçoit un flux constant de visiteurs roumains. Puis, soudainement, en décembre 1989, le flot se transforme en inondation, et les médias veulent savoir ce que le roi pense de la révolution qui se déroule dans son pays. Des millions de personnes regardent à la télévision le renversement du régime communiste.
Dans la nouvelle Roumanie, le roi Michel est reconnu comme un ancien chef d'État et reçoit une pension. Les biens royaux sont restitués à la famille. Un sondage d'opinion réalisé en janvier 2012 le place comme la personnalité publique la plus digne de confiance en Roumanie, loin devant les dirigeants politiques. En octobre de la même année, une place de Bucarest est rebaptisée à son nom, pour célébrer son 91e anniversaire. Il est décédé en 2018.
Lisez un article de la princesse Margarita de Roumanie : La Roumanie était notre maison
Ulrike Ott Chanu a visité Bucarest avec Andrew et Eliane Stallybrass en 1990, 11 mois après la chute du communisme.
Ma première impression de Bucarest est l'obscurité. Les ampoules électriques ne sont pas disponibles pour le moment. Parfois, l'ampoule orange est absente des feux de signalisation - un citoyen débrouillard l'a « privatisée ».
Une visite d'une semaine ne fait pas de nous des experts de la Roumanie, mais au moins nous commençons à comprendre ce que cela signifie d'y vivre : les files d'attente devant les magasins, les allusions lâchées dans les conversations. La crainte des parents que la jeune génération quitte la Roumanie pour vivre à l'étranger. La frustration d'un jeune dirigeant parce que le changement est lent. La désillusion d'une rédactrice en chef de journal confronté à la corruption. « Nous, les personnes âgées, sommes un peu fatiguées », dit mon hôtesse.
Nous rencontrons trois hommes âgés qui ont assisté à une conférence du Groupe d'Oxford (plus tard Réarmement moral et maintenant Initiatives et Changement) à Lausanne en 1937. Ce n'est que maintenant qu'ils ont pu rétablir le contact. L'un d'entre eux nous raconte dans un français parfait (« Je ne l'ai pas parlé depuis 50 ans ») l'impact que cette conférence à Lausanne a eu sur sa vie.
Au moment de mon départ, je suis bloquée à l'aéroport de Bucarest pendant plus de 6 heures en raison d'un épais brouillard. J'ai tout le temps de réfléchir à la semaine écoulée - pleine de nouvelles expériences, de conversations, de découvertes et de rencontres.
Nous avons été accueillis avec une hospitalité sans limite, chaleureuse et généreuse, nous avons beaucoup ri et beaucoup appris. Je sais que ce ne sera pas ma dernière visite en Roumanie. Un pays n'est pas seulement une entité géographique ou politique : ce sont des personnes.
Ulrike, Eliane et Andrew sont retournés en Roumanie plusieurs fois après cette première visite. Ils sont toujours en contact avec les ami-e-s qu'ils se sont faits en 1990.
Adapté de Caux-Information, 1990/91
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Cette histoire fait partie de notre série « 75 ans de récits » qui célèbre le 75ème anniversaire de l'I&C Suisse avec une histoire pour chaque année, de 1946 à 2021. Chaque histoire raconte comment une personne a trouvé l'inspiration et une nouvelle direction à Caux. Si vous souhaitez raconter votre histoire ou celle d'une personne que vous connaissez, merci d’envoyer vos idées par e-mail à John Bond ou Yara Zhgeib. Si vous souhaitez savoir plus sur les premières années d'Initiatives et Changement et sur le centre de conférence de Caux, cliquez ici et visitez la plateforme For A New World.
- Photos en noir et blanc : Initiatives de changement (photo du haut : Rajmohan Gandhi, Dalai Lama, le roi Michel, la reine Anne
- Photo King's Palace et amis roumains : Eliane Stallybrass
- Photo place de l'université, scène de rue, pique-nique, église, famille d'accueil : Ulrike Ott Chanu
- Relecture: Jean Fiaux