1992 : L'espoir dans les villes - « Là où la guérison peut avoir lieu »
Par Rob Corcoran
24/09/2021
En juillet 1992, 80 Américain-e-s sont arrivé-e-s au centre de conférence d'Initiatives et Changement Suisse à Caux avec une question urgente : comment aborder le racisme, la pauvreté et l'aliénation dans les villes américaines. Rob Corcoran, qui travaillait pour Initiatives et Changement à Richmond, en Virginie, à l'époque, s'en souvient :
Trois mois plus tôt, Los Angeles avait explosé après l'acquittement par un jury majoritairement blanc de quatre policiers blancs qui avaient été filmés en train de frapper un automobiliste noir, Rodney King. Quatre jours d'émeutes, de violences et de pillages avaient fait plus de 50 morts et 1'100 propriétés détruites.
Un mois à peine avant les événements de Los Angeles, un groupe d'habitant-e-s de plusieurs villes américaines s'était réuni à Richmond, en Virginie, et avait convenu de travailler à l'organisation d'un événement public qui aborderait directement la question raciale, sous les auspices de Hope in Cities. Encore à ses débuts, Hope in the Cities (Espoir dans les villes) était une initiative populaire, basée à Richmond - capitale des États confédérés pendant la guerre civile américaine - et inspirée par Initiatives et Changement. Ma femme, Susan, et moi étions les hôtes d'une maison où le groupe se réunissait souvent.
Le maire de Richmond, Walter Kenney, conduisit une délégation de 22 dirigeant-e-s de communautés à la conférence de Caux. Parmi eux se trouvaient Howe Todd, un administrateur municipal blanc de haut rang, et Collie Burton, un organisateur communautaire noir qui s'était fortement opposé à Todd sur des questions de politique générale. Les deux hommes avaient noué une amitié inattendue et leur nouvelle approche avait suscité l'intérêt de toute la ville.
À Caux, les Richmondois ont rencontré de jeunes militant-e-s communautaires, des responsables de l'égalité raciale du Royaume-Uni, des dirigeant-e-s de favellas de Rio de Janeiro et d'anciens membres de gangs de Los Angeles. Ils et elles ont entendu Bernard Gauthier, l'ancien chef de la police du Nord de la France, et John Smith, un pasteur méthodiste australien dont le gang de motards, God Squad, s'adressait aux enfants des rues, aux toxicomanes et aux autres membres des sous-cultures de jeunes.
Si cela ne peut pas se passer à Caux, où cela peut-il se faire ?
Les sessions de la conférence ont parfois été conflictuelles. De nombreux participant-e-s avaient encore les nerfs à vif de leurs expériences de racisme. Audrey Brown Burton, qui travaillait dans le département correctionnel de New York, n'a pas mâché ses mots à ce sujet. « Notre système de justice pénale est criminel », a-t-elle déclaré, notant que les Noir-e-s américain-e-s recevaient, en moyenne, des peines plus longues que les Blanc-he-s pour les mêmes crimes.
Face à un discours aussi franc, de nombreux Blanc-he-s se taisent. Des groupes de Noir-e-s se sont formés et il y a même eu des gens qui ont quitté la salle pour protester contre un orateur. Un Britannique blanc qui s'en alarmait m'a dit : « Cela ne devrait pas se passer à Caux ». J'ai répondu : « Si cela ne peut pas se passer à Caux, où cela peut-il se faire ? ».
Au fil des jours, le silence et la confrontation ont fait place à une conversation honnête. Melanie Trimble, une étudiante blanche originaire du sud des États-Unis, a déclaré : « Je veux demander pardon pour mes préjugés et mon indifférence ». Elle a déclaré qu'elle avait eu de bon-e-s ami-e-s noir-e-s à l'école « mais que nous ne parlions pas beaucoup des solutions raciales et que je n'avais jamais été moi-même dans un endroit où les Blanc-he-s et les Noir-e-s travaillaient directement sur la question raciale et étaient honnêtes à ce sujet ».
Un jour, de nombreux et nombreuses Américain-e-s se sont réuni-e-s pour réfléchir à ce qu'ils et elles avaient vécu. Melanie a incité le groupe à se concentrer sur les thèmes du « racisme, de la réconciliation et de la responsabilité ». À la fin de la réunion, nous avons formé un cercle et nous nous sommes engagés à guérir le racisme en Amérique. Beaucoup d'entre nous savaient qu'il s'agissait d'un engagement à vie. »
Le maire Kenney a invité les délégués de la conférence à Richmond l'année suivante. Les Américain-e-s ont déclaré leur engagement à faire face à « la torture du problème racial qui découle du péché originel de notre âme nationale - l'esclavage ».
En juin 1993, 500 personnes venues de villes de tous les États-Unis, ainsi que des Africain-e-s, des Asiatiques, des Latino-Américain-e-s, des Australien-ne-s et des Européen-e-s, ont rejoint les habitant-e-s de Richmond pour une conférence au sujet de « Healing the Heart of America : Une conversation honnête sur la race, la réconciliation et la responsabilité ». Melanie Trimble a assumé la formidable tâche d'organiser la logistique du point culminant de la conférence : La première marche de Richmond à travers son histoire de racisme et d'esclavage.
Beaucoup d'entre nous savaient qu'il s'agissait d'un engagement à vie.
Au cours des années suivantes, Hope in the Cities a développé une approche du dialogue qui a été reprise par plusieurs villes dans toute l'Amérique. Richmond a créé une commission sur le sentier des esclaves et développe actuellement un musée et un centre du patrimoine sur le site de son ancien marché aux esclaves. En 2007, le gouverneur Tim Kaine a fait de la Virginie le premier État à présenter des excuses pour son rôle dans la promotion et la défense de l'esclavage, et 5 000 personnes, dont des représentant-e-s de pays africains impliqués dans la traite des esclaves, ont célébré l'inauguration d'une statue de réconciliation réalisée par le sculpteur de Liverpool, Steven Broadbent. Les universités, les musées et les bibliothèques ont formé un consortium pour raconter l'histoire de Richmond de manière honnête et inclusive.
J'ai travaillé en étroite collaboration avec le Dr Gail Christopher, de la Fondation WK Kellogg, alors qu'elle développait le concept d'une initiative nationale Vérité, guérison et transformation raciales. En 2013, elle a fait venir à Caux 20 dirigeant-e-s d'organisations de guérison raciale et de justice raciale. Alors que nous marchions le long de la terrasse, elle m'a dit : « C'est un endroit où la guérison peut avoir lieu ».
C'est un endroit où la guérison peut avoir lieu.
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Rob Corcoran est un formateur, un facilitateur, un écrivain et un praticien de la guérison raciale. Son livre Trustbuilding : An Honest Conversation on Race, Reconciliation, and Responsibility a été décrit comme un « récit visionnaire et convaincant de la guérison et du changement ».
Pour en savoir plus sur Hope in the Cities, cliquez ici.
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Regardez l'enregistrement de l'initiative « Guérir le cœur de l'Amérique » (1993).
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Cette histoire fait partie de notre série « 75 ans de récits » qui célèbre le 75ème anniversaire de l'I&C Suisse avec une histoire pour chaque année, de 1946 à 2021. Chaque histoire raconte comment une personne a trouvé l'inspiration et une nouvelle direction à Caux. Si vous souhaitez raconter votre histoire ou celle d'une personne que vous connaissez, merci d’envoyer vos idées par e-mail à John Bond ou Yara Zhgeib. Si vous souhaitez savoir plus sur les premières années d'Initiatives et Changement et sur le centre de conférence de Caux, cliquez ici et visitez la plateforme For A New World.
- Photo du haut montrant le Dr Robert Tayor (à gauche), John Smith, Audrey Burton à Caux, 1992: Rob Corcoran
- Photo première marche de Richmond: Rob Lancaster
- Photo Tee Turner à la statue Rob Corcoran
- Photo de l'équipe et dévoilement de la statue: Karen Greisdorf
- Vidéos Guérir le cœur de l'Amérique: Initiatives et Changement International
- Relecture: Jean Fiaux