1966: Buth Diu – Non pas qui a raison mais ce qui est juste
Par Peter Everington
07/06/2021
En 1966, un politicien soudanais de haut rang, Buth Diu, présente au siège londonien de Réarmement moral (RAM, aujourd'hui Initiatives et Changement) des lances et un bouclier en cuir d'hippopotame, en témoignage de son désir de mettre fin aux guerres tribales et régionales dans son pays. « Nous pouvons utiliser nos lances sur les poissons plutôt que les uns sur les autres », déclare-t-il.
Les intentions de Buth Diu n'ont pas toujours été aussi pacifiques. Il a grandi dans la région de Nuer, dans ce qui est aujourd'hui le Sud-Soudan, et a commencé à travailler comme employé de maison pour un commissaire de district britannique dans les années précédant l'indépendance. Sans avoir été scolarisé, il a appris seul à lire, écrire et taper à la machine. Il a obtenu le poste très prisé d'interprète, a fondé un parti politique et a été élu au parlement de Khartoum.
En 1956, le Soudan a obtenu son indépendance en se libérant de ses dirigeants britanniques et égyptiens. Les Sud-Soudanais (qui ont finalement obtenu un État séparé en 2011) n'apprécient pas la domination des Nord-Soudanais arabes. À leur tour, les Nord-Soudanais avaient un dicton : « avoir un Nuer comme voisin c'est avoir un incendie comme voisin ». Les discours enflammés de Buth Diu au parlement témoignent de cette appréhension.
C'est à Caux, en 1958, que naît l'engagement de Buth Diu pour la réconciliation. Alors ministre des Travaux publics, il fait partie d'une délégation d'hommes politiques envoyée à Caux par le Premier ministre. Le premier matin, Buth Diu est stupéfait de voir son voisin de chambre, un Anglais, lui nettoyer ses chaussures. Plus tard, il a déclaré : « J'ai senti que le RAM devait être une révolution ».
Il s' engage à œuvrer pour la réconciliation.
Il est fasciné par le film Freedom (voir 1955) et s'entretient avec les Africains qui l'ont écrit. Lors d'une réunion plénière, il s'excuse pour sa haine des Nord-Soudanais et pour son attitude dominatrice envers ses rivaux politiques du Sud. Il s' engage à œuvrer pour la réconciliation. De retour chez lui, une joie toute neuve imprègne sa vie de famille et il donne à son fils nouveau-né le nom d'un des Soudanais du Nord présents à Caux avec lui.
Les années suivantes à Khartoum furent difficiles. Un gouvernement militaire avait balayé le parlement, et la guerre civile s'était intensifiée dans le Sud, un revers dévastateur pour tout le pays. Buth Diu réunit des Soudanais-e-s du Nord et du Sud dans sa maison, où il leur avait souvent montré Freedom ou d'autres films du RAM.
Lorsque la démocratie est rétablie pour quelques années, Buth Diu devient ministre des ressources animales. En 1966, il obtient l'approbation du cabinet pour que Harambee Africa, une revue musicale créée par de jeunes Africains inspirés par le RAM, donne deux semaines de spectacles au Soudan en tant qu'invités du gouvernement.
Au fil des ans, une relation étroite se développe entre lui et le Dr Mohammed El Murtada qui travaillait au ministère du Travail et qui appliquait la formule du RAM « non pas qui a raison mais ce qui est juste » aux conflits industriels.
À l'époque, Buth Diu construisait une nouvelle maison. C'est là, dans la maison encore en chantier que lui et Murtada se sont assis à une table et ont noté quelques idées sur la façon dont la guerre Nord-Sud pourrait être résolue. Le lendemain, ils les ont apportées au ministère de l'Intérieur. L'année suivante, certaines de leurs idées ont refait surface dans l'accord de paix de 1972, qui a mis fin à dix ans de combats intensifs.
Quelques années après la mort de Buth Diu en 1975, Mohammed El Murtada est devenu directeur du ministère du Travail. Lorsqu'il assistait à la conférence annuelle de l'Organisation internationale du travail à Genève, il se rendait souvent à Caux. En 1983, il écrit : « J'ai appris de l'exemple de Buth Diu que la résolution des problèmes ne dépend pas principalement des aspects techniques et des approches formelles. Les solutions de base viennent lorsqu'on cherche à guérir les faiblesses de la nature humaine - orgueil, peur, haine et suspicion. Celles-ci peuvent être remplacées par le pardon, l'amour et des objectifs communs pour le bien-être d'une nation, à mesure que les individus trouvent le courage d'obéir à la direction de Dieu. »
Dans les années qui ont suivi, l'histoire du Soudan a été turbulente. Caux a continué à recevoir des groupes travaillant à la réconciliation, tant du Nord que du Sud, avant et depuis son indépendance.
J'ai appris de l'exemple de Buth Diu que la résolution des problèmes ne dépend pas principalement des aspects techniques et des approches formelles.
Mohammed El Murtada
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A propos de l'auteur
Après un profond changement personnel lors de sa rencontre avec le Réarmement moral pendant ses études, Peter Everington passe à l'arabe pour sa dernière année à Cambridge. Il a 23 ans lorsqu'il se rend pour la première fois au Soudan, où il enseigne l'anglais pendant huit ans au sein du ministère soudanais de l'éducation. En plus de vingt visites de retour depuis, il continue à soutenir les artisan-e-s de la paix du Nord et du Sud. Peter a reçu la plus haute décoration du Soudan pour services rendus à l'éducation.
En lire plus sur l'expérience de Peter au Soudan
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Regardez le film de nos archives sur le spectacle musical "Harambee Africa"
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Cette histoire fait partie de notre série « 75 ans de récits » qui célèbre le 75ème anniversaire de l'I&C Suisse avec une histoire pour chaque année, de 1946 à 2021. Chaque histoire raconte comment une personne a trouvé l'inspiration et une nouvelle direction à Caux. Si vous souhaitez raconter votre histoire ou celle d'une personne que vous connaissez, merci d’envoyer vos idées par e-mail à John Bond ou Yara Zhgeib. Si vous souhaitez savoir plus sur les premières années d'Initiatives et Changement et sur le centre de conférence de Caux, cliquez ici et visitez la plateforme For A New World.
- Photo en haut: (de gauche à droite) le Marquis of Graham, Buth Diu, Ahmed el Mahdi and Rajmohan Gandhi à Khartoum en 1966, photo: Peter Everington
- Photos Khartoum, fils Buth Diu: Peter Everington
- Photo Harambee Africa: Jürg Kobler
- Photo Buth Diu à Caux lances et bouclier: Arthur Strong
- Photo Murtada: Initiatives et Changement